Planche la recherche
Je travaille depuis cet hiver sur une courte bande dessinée de quatre planches. Commandée par une équipe de chercheurs, professeurs et étudiants de l’Université Laval, cette bande dessinée traite d’un sujet de recherche en sociologie.
En janvier dernier, j’ai été jointe à Karina Soucy, une chercheuse en sociologie, afin de créer ces quatre planches pour vulgariser le sujet de la thèse sur laquelle elle travaille. Le thème, Vie de femmes au Kamouraska : Ruralité, mythe et préjugés.
Oui. Parler des femmes pis du Bas-Saint-Laurent. Match de feu!
Le développement de ces planches s’est déroulé cet hiver, pour culminer avec un colloque de trois jours organisé par l’Université Laval, et qui a eu lieu à la BaNQ. On était une bonne dizaine de binômes bédéiste/chercheur à développer chacun de notre côté, quatre planches sur un sujet différent, tous concernant la sociologie.
C’est assez rare d’avoir autant de temps et de liberté pour produire de tels visuels, en plus de mettre la table pour un contexte de travail qui met toute la place pour l’échange, le partage et la curiosité.
Pendant ces trois jours qu’a duré le colloque, on a pu non seulement se plonger dans des ateliers intensifs de travail collaboratif entre binôme, mais on a énormément discuté entre bédéistes et chercheurs. C’était passionnant d’avoir l’opportunité de se consacrer entièrement à échanger et comprendre de différentes façon de faire et d’envisager nos métiers.
La vie et la réalité de nos métiers font en sorte qu’on ne se donne jamais le temps de s’arrêter et de réfléchir aux possibilités infinies des méthodes et approches que la bande dessinée offre non seulement d’un point de vue narratif, mais aussi d’éducation et de vulgarisation.
La bande dessinée est un art puissant. Plus puissant que je le pensais lorsque j’ai commencé à m’y intéresser. C’est un objet d’art, de narration, de design. C’est structurer une histoire, de l’information, des émotions, de manière à véhiculer un message. Le rendre accessible, attrayant. Décortiquer non seulement le sensible, mais le tangible. Le structurer, le résumer.
C’était tout un défi de faire tenir en seulement quatre pages un sujet aussi nuancé et complexe que les préjugés envers les femmes qui vivent actuellement dans les milieux ruraux. Ça ne s’explique pas avec des graphiques pis des schémas. C’est rendre concret quelque chose d’intangible, qui est du domaine des impressions, des interactions, des émotions. Karina et moi avons teeeellement parlé longuement de toutes les problématiques qu’elle a soulevées le temps qu’aura duré sa recherche. Dans le cadre de son mémoire, elle a le privilège d’utiliser autant de mots et de pages nécessaires pour capturer toutes les nuances de son sujet de recherche. Comme je me plaisais à lui dire, elle pouvait utiliser un fleuve de mots pour en décortiquer une conclusion. La bande dessinée avait alors ce devoir (et cette force) de pouvoir synthétiser l’essentiel de son propos en alliant images et mots, de sorte que les grandes lignes pouvait s’y trouver, sans avoir l’intégralité du discours.
Durant la création de ces planches, une question est souvent revenue. Est-ce que le fait d’évoquer une idée ou un concept sans se servir de mots en faisait un propos avec une certaine valeur scientifique? De laisser le lecteur interpréter par lui-même certaines informations et se fier à son jugement et son esprit d’analyse est-il suffisant? J’ai pas la réponse à ça, à part peut-être que la bande dessinée peut être considérée comme un médium complémentaire à la recherche, et non une traduction intégrale. Autant c’est un art puissant, qu’il a quand même certaines limitations? Ou bien il peut ouvrir des portes qui vont au-delà de ce que la rigueur scientifique exige? Peut-être a-t-il le pouvoir de garder la conversation et la réflexion ouvertes?